Chapitre 01


Juin 1910, Windenburg


Il était dix-huit heure passée et Marthe Fresnel s'afférait à la cuisine, préparant le repas du soir. Elle attendait que ses fils rentrent du travail, impatiente de finir la journée et de rentrer se coucher.


" Félicie, met la table tu veux.
- Tout de suite mère !




Marthe s'affala pratiquement dans son fauteuil, réalisant que c'était la première fois qu'elle s'asseyait depuis cinq heure. Elle s'empara du livre qu'elle essayait de finir depuis plusieurs semaines ; à peine eut-elle lu une page qu'elle entendit la porte s'ouvrir et la chienne de la famille, Napoléonne, aboyer.


" C'est moi ! "




" Bonsoir, mère.
- Bonsoir Innocent. Ton frère n'est pas avec toi ?
- Non. Il est sorti avec des collègues, je crois.
- Le repas est prêt et la table est mise, j'aurais aimé que nous passions à table dès maintenant.
- Nous allons l'attendre, il ne devrait pas tarder. "

Marthe fronça les sourcils sans dire mot, préférant ne pas contredire son fils. Elle aurait bien aimer manger maintenant, elle, d'autant plus qu'elle savait que son cadet rentrait souvent tard.


A quelques pas seulement de la maison, trois jeunes gens marchaient d'un pas malhabile, se tenant par les bras. Achille Fresnel et ses collègues sortaient d'un bar de la ville et ils échangeaient encore quelques rires gras avant de rentrer chez eux.


" Monsieur employé du service courrier ; mais quel titre, monsieur !
- Moquez vous...
- Nous te charrions. C'est une belle promotion, vraiment ! Félicitation !
- C'est seulement dommage qu'aucune belle femme ne t'attende chez toi pour te récompenser..."


" Il y a ma mère, c'est un début. "


" C'est dégoûtant ! Il serait vraiment temps de penser à te marier.
- On a le temps, va. Une femme, ça prend du temps et ça fait des enfants... comment je pourrais avoir d'autres promotions si j'ai des chiards dans les pattes ? "


Les jeunes gens se saluèrent une dernière fois dans de grands rires et chacun repris le chemin de chez soi, les pensées dérivant déjà vers d'autres choses.


Achille avait tout juste vingt ans et il s'était fait une place dans le service postier de la ville grâce à son frère aîné. Ce n'était pas, un mauvais garçon, Achille, c'était juste un jeune homme un peu insouciant. Il profitait de son statut de second fils d'une famille de la petite bourgeoisie pour se laisser vivre, sans trop avoir de responsabilité.
Les responsabilités, Achille les avait toujours détesté. Il préférait vivre au jour le jour sans ce soucier de ce qui pouvait arriver et il aimait mener sa petite vie paisible.

Pourtant, sans le savoir et en marchant tranquillement jusqu'à chez lui, Achille s'approchait de ce qui allait mettre fin à cette vie qu'il adorait.


" Mais qu'est-ce que... ? "




Une jeune femme. Il y avait une jeune femme dénudée, là, juste à côté de sa maison, étendue sur le sol et vraisemblablement inconsciente.
Mais qu'est-ce qu'il était sensé faire ?


Achille hésita et, enfin, il se baissa vers l'inconnue. Les femmes, ça n'avait jamais vraiment été son fort. Alors les femmes dénudées...
Il la secoua un peu, doucement, ne sachant pas s'il voulait la réveiller ou s'il avait peur de le faire. Est-ce qu'elle allait bien ?

" Madame ? Est-ce que vous m'entendez ? Tout va bien ? "


Pas de réponse. Le jeune homme effleura son front et constatât qu'elle était brûlante de fièvre. Se penchant un peu plus près pour mieux voir si elle n'avait pas de blessures, il se sentit à son tour chancelant.
Elle était belle. Très belle.
Il fallut un instant à Achille pour se ressaisir. Il ne voulait pas qu'on le voit ainsi, penché en pleine rue sur une femme dénudée. Il ne voulait pas non plus la laisser ainsi ; après avoir vérifié que personne n'étant dans les parages, il se décida à la ramener chez lui.








A l'intérieur de la maison, Marthe et ses deux autres enfants avaient fini par commencer à manger sans attendre Achille. Lorsqu'elle entendit frapper à la porte, elle dû contenir son agacement de le voir rentrer si tard : ce n'était pas un comportement de garçon de bonne famille. Hélas, Achille était à un âge où les mères n'ont plus à les éduquer.
Quelle fut sa surprise lorsqu'elle vit son fils avec, dans les bras, une jeune femme en sous-vêtements !


Elle ouvrit immédiatement la porte, partagée entre plusieurs impressions contradictoires. Que faisait Achille dans une pareille situation ? Qui était cette fille et pourquoi était-elle dans une telle tenue ?
Constatant le jeune âge de l'inconnue, l'instinct matériel de Marthe pris le dessus et, sans poser plus de question, elle indiqua à son fils de la monter dans la chambre de Félicie et de l'y coucher.


Achille emmena donc la jeune fille jusqu'à la chambre de sa petite soeur, soulagé d'enfin pouvoir la poser. Il avait pourtant été surpris de sa légèreté - son corps était si frêle...


Il passa une main sur son visage, soupirant longuement. Il peinait à réaliser qu'une parfaite inconnue se trouvait chez eux et il se sentit tout à coup très gêner de la voir départie de ses vêtements. Sentant le rouge monter à ses joues, il détourna le regard et se racla la gorge, comme pour s'excuser.
Mais elle ne l'entendait pas.

" Achille, qui est cette femme ? "


" Je n'en ai aucune idée. Elle était là, en l'état dans laquelle tu la vois, allongée non loin de la maison. Elle est fiévreuse, je ne pouvais pas la laisser en pleine rue.
- Il ne t'est pas venu à l'esprit qu'elle pouvait être une fille de joie ?
- Mère ! Elle... elle n'en a pas l'air, regarde...
- Car tu penses que ces filles là ont un air particulier ? Ce sont juste de petites nues ou presque. Comme celle-ci. Si elle en est, tu imagines dans quelle situation nous sommes de l'avoir chez nous ?
- Nous dirons que nous ne savions pas.
- Allez. Marthe soupira. Descend me rejoindre en bas lorsque tu auras fini, si tu veux bien. "


Achille ne pensait jamais beaucoup à ses choses là. L'air qu'il pouvait donner, il s'en fichait un peu ; c'était plutôt l'affaire de son frère et de sa mère. Il était quelqu'un de très naturel et, s'il avait eu un peu plus de caractère, il se serait peut-être rebellé contre l'éternel diktat de l'apparence dans le monde bourgeois.
Il ne lui était pas venu un seul moment à l'esprit que cette fille pouvait être une fille de joie. Elle avait quelque chose de si pure...


Le jeune homme fini par descendre rejoindre sa mère, qui l'attendait dans la cuisine. Elle lui avait laissé un bol de salade et avait aussi mis le sien de côté, ne voulant pas manger avant qu'il ne soit rentré. Innocent et Félicie, eux, étaient déjà couchés.

" J'ai demandé à ta soeur de dormir avec moi pour cette nuit, puisque la fille occupe sa chambre. Tu comprends bien que ça ne durera pas.
- Bien-sûr. Je me suis simplement dis... il faut bien protéger les faibles et les femmes, non ?
- C'est vrai.
- Je ne pouvais pas la laisser comme ça. "


" Je sais bien que tu ne pensais pas à mal, mais... Achille, il faut réfléchir avant de faire des choses insensées. D'ailleurs, il ne faut pas faire de choses insensées. Elle pourrait avoir l'intention de nous voler, ou...
- Mère, tu trouves vraiment qu'elle a l'air mauvaise ?
- Tu ne peux pas te fier à l'air des gens. Ecoute, demain, lorsque ton frère se lèvera, il sera plus virulent encore que moi. Il faut qu'elle parte tôt, d'accord ?
- Elle a de la fièvre. Et puis qu'est-ce que ça peut bien lui faire, qu'il y ai une femme dans la maison ?
- C'est à lui de décider des choses, maintenant, Achille. Il veille sur notre sécurité et sur notre honneur. Sur ton honneur aussi, tu sais... et tu ne lui rends pas la tâche facile. "


" Arrête, ne me fais pas la morale.
- Excuse moi. Je dis simplement que je m'inquiète pour toi... on pourrait s'imaginer que tu as de mauvaises valeurs, tu comprends ?
- Oui, oui. "


Achille se leva finalement de table.

" Si elle ne va pas mieux demain, je parlerai à Innocent et je ferai venir le médecin. On pourra toujours la faire passer pour une cousine... et puis on cherchera son père ou son mari pour qu'il vienne la chercher. "